C'est un beau roman

Les méduses n’ont pas d’oreilles : Qu’entend-t-on quand on est sourd ?

Quel roman déroutant, inventif et sensible qu’a écrit Adèle Rosenfeld pour nous raconter sa vie de malentendante. Comme son personnage principal Louise, l’auteure est malentendante depuis l’enfance. Elle explique dans une vidéo diffusée sur Brut qu’elle l’a caché à l’école puis a espéré que les autres le devineraient en se coupant les cheveux très courts pour qu’on voit son appareil. Plus récemment, elle a perdu un peu plus encore l’ouïe, pénétrant dans le monde des sourds. Dans Les méduses n’ont pas d’oreilles, on entre dans la tête de Louise alors qu’elle doit prendre une décision (un implant qui signera la fin de toute audition naturelle mais qui lui, on l’espère, facilitera et adoucira sa vie).

Déroutant

Les méduses n’ont pas d’oreilles n’est pas du tout un témoignage mais bien un récit littéraire. Les fantômes traumatiques (ce sont les mots de l’écrivaine) prennent de plus en plus de place dans la tête et la vie de Louise que ce soit ce soldat qui lui glisse parfois les bons mots, cette botaniste qui prend forme au musée d’histoire naturelle ou le chien Cirhus. Est ce pour combler les blancs laissés par un silence de plus en plus grand que l’imagination de Louise s’emballe ?

Inventif

Mais ce qui m’a frappé avant tout c’est l’écriture inventive d’Adeline Rosenfeld.

Pas de signe avant-coureurs. Pourquoi fallait-il d’ailleurs que les signes courent ?

J’ai rejoint les sous-sols et à la pause déjeuner, j’ai eu besoin de retrouver le degré zéro de l’existence.

Pour décrire la surdité qui s’installe, elle écrit « la bande-son s’est coupée ». Pour rendre compréhensible des ressentis physiques, sensoriels qu’un entendant n’a jamais vécus, l’écrivaine use de tout un panel de comparaisons et d’images pour décrire les sons produits par l’environnement et par chacun, pour décrire les voix.

Elle attire aussi notre attention sur des choses que nous ne remarquons pas, ne voyons pas en tant qu’entendant comme les mouvements formés par les lèvres et la bouche quand nous parlons et ce qu’on dit avec les yeux.

Pour garder une mémoire des sons qui disparaissent, s’effacent, Louise se constitue un herbier sonore.

Les méduses n’ont pas d’oreilles : Poignant

La grande force du roman, en dehors de son inventivité, est de suggérer combien la surdité, handicap invisible (peut être encore plus dans le cas de Louise qui parle normalement puisqu’elle a entendu ou a réussi à compenser d’une manière ou d’une autre et dont on ne peut pas soupçonner ce handicap), est épuisante au quotidienne pour « s’adapter ».

A la mairie où elle a trouvé un emploi, dans les soirées entre amis ou même en tête à tête avec sa mère, Louise est toujours obligée de déployer des efforts, des stratégies pour des sons, des sens, des mots (ce qui génère parfois des quiproquos amusants !).

Face à elle, même ceux et celles qui ont connaissance de son handicap, paraissent globalement peu empathiques. Aux yeux des entendants, le fait de ne pas comprendre, de faire répéter, de répondre à côté parfois, passe rapidement pour de la folie.

C’est cette solitude que j’ai trouvé poignante, d’autant plus que n’étant pas sourde de naissance, Louise semble être à cheval entre deux mondes.

Mes forces se fracassaient sur tous les malentendus. Chaque mot incompris devenait une injustice de plus. J’avais beau tendre mon cou, dirigé mon regard sur les lèvres, écarquiller les paupières, polir mon lexicographe interne, garder confiance et me répéter « tu vas l’avoir cette phrase », l’échec envahissait mon existence.

Les méduses n’ont pas d’oreilles, Adèle Rosenfeld, Grasset, 236p.



2 Comments

  1. Ce handicap est terrible. On ne s’imagine pas les difficultés vécues par les personnes qui en sont atteintes et aussi, pour celles vivant avec
    Mon père est devenu sourd, ainsi que mon frère , et moi-même je sens bien que les problèmes d’audition commencent.
    J’ ai lu une très bonne critique de ce livre dans ELLE ,il me donne envie de le lire.

    • c’est un livre qui ouvre les yeux sur cet handicap qu’on ne soupçonne pas vraiment tant qu’on n’a pas un proche concerné je pense.

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