L’auteur de Blankets, Craig Thompson, après une longue absence, revient avec un nouveau roman graphique, Ginseng Roots dans lequel il parle de son enfance et de son histoire à travers son lien au Ginseng.
Enfant, il habite dans une petite ville du Wisconsin, Marathon (1200 habitants à l’époque) qui est dans les années 80, le premier producteur de ginseng américain. Le nom chinois de cette plante médicinale signifie racine humaine en référence à sa forme humanoïde et tout au long des 440 pages, on retrouvera dessinée une racine avec un visage.
La famille de l’auteur n’est pas riche et pendant les vacances d’été, les enfants, très jeunes, aident leur mère à désherber les jardins de ginseng, motivés par l’idée qu’ils pourront s’offrir des comics avec l’argent gagné. Déjà à l’époque, Craig Thompson dessine avec son frère ses propres BD.
Ce que j’ai aimé dans Ginseng Roots
- La colorisation en sepia et rouge orange qui accompagne tout le roman graphique. Non seulement elle amène une identité graphique forte à ce titre mais elle permet à l’auteur de montrer des contrastes visuellement (par exemple entre une bonne journée de récolte et une mauvaise journée avec de la pluie)
- Craig Thompson est né dans une famille de prolétaires, toute sa vie il ressent une culpabilité et un syndrome de l’imposteur à vivre du dessin. Lorsqu’en 2015, Space Boulette connait un échec total, il se demande ce qu’il pourrait faire d’autre.
- Le ginseng n’est pas un prétexte pour mener un nouveau projet autobiographique car on apprend énormément de choses sur le sujet mais c’est l’angle qu’il a choisi et le fil directeur de Ginseng Roots.
- Il pose la question de l’accueil d’une oeuvre autobiographique par les proches. Pourquoi dans Blankets a t-il gommé de sa vie sa soeur ? Pour ses parents, il a exagéré leurs traits alors que pour son frère il a minimisé certaines choses.
- Ginseng Roots montre aussi ce qu’est la situation des agriculteurs dans un système capitaliste : il faut grossir pour ne pas mourir et c’est la fin des petits agriculteurs. Qui dit agriculture intensive, dit aussi usage intensif des pesticides (ce qui est quand même pour le moins contradictoire pour une plante médicinale).
- Au niveau du dessin, c’est peut-être propre aux auteurs de BD mais je suis plus que bluffée par sa technique. Il dessine avec autant de précision et de talent les paysages que les maisons, les personnages que les légumes de son jardin, les scènes dans les grandes villes que les scènes d’intérieur.
- Ce roman graphique est extrêmement documenté (même un peut trop touffu sur certaines doubles pages pour moi) : il est bien entendu incollable sur le ginseng, la façon de la cultiver, ses différentes variétés, mais il traite aussi l’histoire de Marathon et la colonisation, la guerre du Vietnam, la médecine chinoise, la place du ginseng en Corée.
Ce qui m’a le plus intéressé ce sont toutes les pages qui concernent directement l’enfance de l’auteur. Craig Thompson parle de la fin de l’innocence et emploie le terme de Germination « Comme l’enveloppe de la graine, l’innocence de l’enfance se fissure.« . L’auteur évoque ainsi l’harcèlement, l’absence de loisirs (ses parents très religieux, ne pensent qu’au travail), les coups de ceinture de son père et l’agression par un babysitter. Alors qu’il est au lycée, ses parents le déscolarisent et il étudie des manuels religieux à la maison, étant encore plus isolé du reste du monde. C’est un des ponts tracés entre Ginseng Roots et Blankets, son chef d’oeuvre précédent.
Ginseng Roots, Craig Thompson, Casterman, 447 p.